Susan OYAMA
Penser l’évolution : l’intégration du contexte dans l’étude de la phylogenèse, de l’ontogenèse et de la cognition, Pages 133-150 [Texte en pdf]
Resumé: Dans ses écrits concernant les rôles respectifs de facteurs internes et externes dans le développement, l'évolution et la cognition, Piaget critiqua l'internalisme, lui reprochant son préformationisme implicite et son recours à l'a priori ; il rejeta également l'externalisme, à cause de son empirisme naïf. Tout son oeuvre constitue, en effet, la recherche d'une troisième voie au-delà de cette opposition. Toutefois, il n'a jamais vraiment réussi à remettre en cause le système conceptuel habituel, selon lequel le hasard et la malléabilité sont associés avec des forces externes, alors que la nécessité et la fixité sont associés avec des forces internes. Par conséquent, son intérêt pour les régularités du développement intellectuel l'a systématiquement conduit à surestimer la nécessité interne, et à sousestimer le rôle constitutif du contexte.
En fait, une application plus conséquente de l'approche interactionniste, évitant toute distinction entre développement interne et développement externe, permet d'expliquer les régularités des processus évolutifs sans privilégier les facteurs internes. Ainsi, pas plus que les mathématiques, l'ontogenèse typique de l'espèce ne requiert aucun recours au concept de programme génétique. En ce qui concerne l'évolution, Piaget a bien noté que la variation d'une part et la sélection naturelle de l'autre se définissent mutuellement, par interaction; toutefois, s'il avait tiré toutes les conclusions de cette optique, il aurait pu éviter sa malencontreuse insistance sur la phénocopie. L'objectivité enfin, loin de requérir une séparation entre connaissance et contexte, résulte de la prise en compte du rôle du contexte social dans la constitution même des connaissances scientifiques.
Thinking About Evolution: Integrating the Context in Ontogeny, Phylogeny and Cognition.
Abstract: This article comments on Piaget's treatment of internal and external causation in his writings on development, evolution and cognition. Piaget criticized internalist and programming models for their a priorism and implicit preformationism; he also rejected externalism for its naive empiricism. He consistently tried, in fact, to construct a third way between them. However, because he adopted the habitual conceptual system in which chance and malleability are associated with external forces, while fixity and necessity are associated with internal ones, Piaget consistently overemphasized internal necessity and underemphasized the constitutive role of context.
I argue that a fuller application of the interactionist approach, making no distinction between exogenous and endogenous development, obviates the need to privilege internal factors in order to explain regularity of outcome.
Thus, species-typicality in development does not require genetic programs, any more than mathematics does. Such a rethinking of programmed development casts doubt on Piaget's account of evolution: had he taken his own descriptions of the mutualistic, interactive nature of variation and natural selection more seriously, he might not have felt the need to insist on phenocopy. Finally, objectivity, usually seen as involving a separation of knowledge from context, can be reconceptualized in a way that includes the social context in its very definition.
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