John STEWART
Au-delà de l’inné et de l’acquis, Pages 151-174 [Texte en pdf]
Resumé: Peu de thèmes sont aussi transversaux à l'ensemble des sciences du vivant et de la cognition que celui de l'inné et de l'acquis. Cet article critique l'opposition conceptuelle entre "caractères innés" et "caractères acquis" dans le domaine où il est censé être le mieux fondé, à savoir l'ontogenèse des caractères anatomiques chez les organismes multicellulaires. Il est démontré que des termes tels que "génétiquement déterminé" ou "programme génétique", et plus généralement la problématique "inné-acquis", n'ont aucune valeur explicative; leur emploi est symptomatique d'une question mal posée. En effet, ces notions reposent sur la présupposition, profondément inscrite dans la philosophie occidentale, selon laquelle la matière en elle-même serait inerte et ne saurait acquérir des formes significatives que si elle est in-formée à partir d'une source extérieure. Si l'on se penche sur l'ontogenèse des organismes vivants en tant que phénomène autonome, en cherchant à identifier les mécanismes qui sous-tendent les régularités développementales observées (que ce soit au niveau anatomique ou psychique), la problématique "inné-acquis" disparaît purement et simplement. Loin de représenter une perte, l'abandon de cette problématique ouvre sur un renouveau, aussi bien pour la théorie de l'évolution que pour la compréhension scientifique des phénomènes cognitifs, notamment celui du langage. Finalement, le mouvement même qui efface l'opposition inné-acquis efface également la barrière entre ce qui est "biologique" et ce qui est "cognitif".
Beyond the Innate and the Acquired
Abstract: This article criticizes the opposition between "innate" and "acquired" — one of the most transversal themes in all the sciences of life and cognition — in the area where it is supposedly the most solidly grounded, i.e. the species-typical ontogenesis of anatomical characters. It is shown that expressions such as "genetically determined", or " genetic programme", are generally quite devoid of any explanatory value; their use is symptomatic of a presupposition, widely spread in Western philosophy, that matter in itself is inert or at most chaotic. It follows that the emergence of significant form is supposedly dependent on in-formation from a source external to the material processes themselves - a source which can be located either "in" the environment or "in" the genes. However, if the striking regularities observed in normal ontogeny are analysed in terms of the actual processes and mechanisms which underly them, the twin concepts of "innate" and "acquired" simply disappear. Far from being a loss, this opens the way to a renewal both of evolutionary theory and of our scientific understanding of cognitive phenomena in general and language in particuliar. This new perspective also enables us to dismantle the barriers between "biological" and "cognitive" characters.
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