intellectica 2004/2, n° 39: Des lois de la pensée aux constructivismes [retour table de matières]
Fernand DORIDOT et Marco PANZA
À propos des apports des sciences cognitives à la philosophie des mathématiques, Pages 263-283
Resumé: Parmi les développements les plus récents des sciences cognitives, plusieurs concernent des aspects de notre activité cognitive qui semblent avoir trait à nos compétences mathématiques. Ces développements peuvent-ils apporter une contribution à la résolution de certains problèmes classiques abordés en philosophie des mathématiques ? L’article examine de manière critique quelques réponses positives, s’efforce de les comparer à certaines tentatives plus anciennes d’articuler un rapport de collaboration entre recherches psychologiques et réflexion philosophique à propos des mathématiques, et tente de circonscrire le cadre d'une possible collaboration entre ces disciplines. Celle-ci concerne l'étude des conditions cognitives de la constitution des théories mathématiques, conçues au sens propre et comme différentes d’un simple savoir mathématique diffus. On examine d'abord la thèse de S. Dehaene affirmant l'existence d'une capacité innée de perception et représentation des quantités numériques, en montrant en quoi cette capacité diffère de celle qui aboutit à un véritable dénombrement. Puis on étudie la tentative faite par G. Lakoff et R. E. Núñez de rapporter la constitution des théories mathématiques à l’établissement de « mappages métaphoriques », en montrant en quoi elle relève au fond d'une analyse conceptuelle de théories mathématiques déjà constituées, auxquelles sont tout simplement associés de prétendus modèles empiriques. On confronte ces deux tentatives à celle de Piaget. On se tourne ensuite vers la problématique des origines cognitives de la géométrie et les contributions de H. Poincaré et de J. Nicod, puis vers celle de P. Maddy concernant la théorie des ensembles. Ces analyses suggèrent que l’apport des sciences cognitives à la philosophie des mathématiques serait d’autant plus précieux que les premières parviendraient à prendre en compte la spécificité des théories mathématiques particulières, et à s’intégrer de ce fait aux recherches relevant des aspects logiques et historiques de leur constitution.
On the contribution of cognitive science to the philosophy of mathematics
Abstract: A number of recent developments of cognitive sciences are concerned with some aspects of our cognitive activity that seem to be connected with our mathematical competences. Are these developments able to contribute to the solution of some classical problems in the philosophy of mathematics? The paper critically examines certain positive answers, tries to compare them with older attempts to connect psychological researches and philosophical analysis about mathematics, and endeavors to establish the framework of a possible collaboration between these disciplines. Such a collaboration concerns the study of the cognitive conditions of constitution of mathematical theories understood as being different from ordinary mathematical skills. Dehaene’s thesis asserting the existence of an innate capacity to perceive and represent numerical quantities is firstly considered, by showing that it is different from the capacity of enumeration. G. Lakoff’s et R. E. Núñez’s attempt to reduce the constitution of mathematical theories to the establishment of a “metaphorical mapping” is then studied, by showing that it consists of a conceptual analysis of already constituted mathematical theories to which some pretended empirical models are simply associated. These attempts are compared with Piaget’s. Finally H. Poincaré’s and J. Nicod’s reconstructions of the cognitive origins of geometry and Maddy’s thesis about the cognitive origins of set theory are considered. These analyses suggest that the contribution of cognitive sciences to the philosophy of mathematics would be more valuable if it was able to account for the specific features of particular mathematical theories and to cooperate with other researches concerned with the logical and historical aspects of their constitution.
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