Hypnose, mémoire et cognition incarnée
DOI: 10.3406/intel.2021.1994
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Au sein des approches incarnées de la cognition, un nombre croissant d’études souligne l’étroite intrication, voire le recouvrement, des mécanismes qui sous-tendent la sensorimotricité et la mémoire. Parmi ces approches incarnées, le modèle Act-In (Versace et al., 2014) propose que lors d’une expérience vécue, des traces mnésiques se forment automatiquement par le biais d’une dynamique d’activations et d’intégrations des différentes dimensions de cette expérience, en particulier les dimensions sensorimotrices. Lors d’une seconde expérience vécue ultérieurement, la situation réactive en cascade ces traces antérieures, provoquant ainsi une intégration des dimensions de la situation présente perçue et des situations antérieurement vécues. Ainsi dans ce modèle, la perception de la situation présente peut être influencée par les traces antérieures tout autant que les traces antérieures peuvent être influencées par la perception présente.
Parallèlement au développement de ces approches incarnées de la cognition, la question des liens entre la mémoire et le corps est par ailleurs discutée et opérationnalisée dans le domaine de l’hypnose. Depuis l’essor de l’hypnose à la fin du 18e siècle jusqu’à sa pratique actuelle amorcée par Milton Erickson, plusieurs techniques centrales en hypnose utilisent un jeu avec la mémoire de façon à pouvoir accompagner un patient en souffrance physique ou psychique. Notamment, les « régressions en âge » consistent à proposer à un patient de « revivre » un épisode de sa vie de façon à l’aider à dépasser une difficulté actuelle ou modifier une perception présente. Ces techniques centrées sur la mémoire sont courantes et leurs effets sont souvent décrits dans la littérature. Certains domaines spécifiques, comme la question des faux souvenirs qui peuvent apparaître consécutivement « aux régressions en âge », ont donné lieu à des travaux cliniques et expérimentaux alliant mémoire et hypnose. Cependant à l’heure actuelle, ces pratiques ne bénéficient d’aucune base théorique ou conceptuelle consensuelle, et les mécanismes permettant d’expliquer les effets de ces techniques sont encore mal compris.
En conséquence, à travers le prisme d’une réflexion pluridisciplinaire, cet article poursuit un double objectif. Premièrement, il s’agit de discuter de la pertinence heuristique du modèle Act-in pour comprendre pourquoi ces techniques d’hypnose qui disent utiliser des processus mémoriels produisent leurs effets. Deuxièmement, il s’agit de discuter des perspectives offertes par l’hypnose, et en particulier l’intérêt de ces techniques, pour étayer l’arsenal méthodologique qui permet d’explorer la dimension dynamique et incarnée de la mémoire humaine.
Pour citer cet article :
Coutté Alexandre, Heurley Loïc P., Bioy Antoine (2021/1). Hypnose, mémoire et cognition incarnée. In Versace Rémy (Eds), Mémoire et cognition incarnée : comment le sens du monde se construit-il dans nos interactions avec l'environnement ? Intellectica, 74, (pp.271-298), DOI: 10.3406/intel.2021.1994.